8.08.2020

Catholique a ecrit :

 Bonjour Wahrani,

Je voudrais revenir un instant sur votre message précédent, la réponse m’a demandé un temps de recherche. C’est au sujet des divergences entre la généalogie de Jésus-Christ proposée par Matthieu et celle proposée par Luc. Elles existent et résistent à toute explication définitive. Toutefois, voici les raisons qui les expliquent au moins en partie.

Matthieu écrit son évangile pour un public juif et lui parle un langage qu’il comprend. Il arrête sa généalogie à Abraham pour enraciner la messianité de Jésus dans la vocation, la royauté et l’espérance d’Israël. Sa généalogie est une généalogie qui établit des titres royaux plutôt qu’une filiation naturelle. Les noms qui sont propres à sa généalogie sont ceux qui ont transmis à Saint Joseph, ses droits au titre royal dans la descendance de David. Il se peut qu'ils ne correspondent pas à la filiation naturelle comme il arrive à l'extinction d'une branche royale qui passe alors à une autre famille, issue du même ancêtre.

Luc écrit pour un public d’origine païenne, sa généalogie a vocation universelle et remonte jusqu’à Adam. Les noms traduisent la filiation naturelle de Saint Joseph, la généalogie royale ne signifiant que peu de choses pour son public.

Pour le dire simplement, si l'un était le père naturel de Joseph ; celui-ci tenait les droits royaux d'un autre.

D’autres explications sont proposées par la tradition, qui font de Marie une descendante de David et mettent en œuvre les spécificités liées à l’établissement et à la transmission de droits royaux. Je ne vais pas rallonger inutilement mon propos. Nous en parlerons, si cela vous intéresse

Cela m’amène à répondre à un point de votre message immédiat : « être père » dans le judaïsme a peu à voir avec l’ADN. Oui, bien sûr, les juifs ont des enfants avec leurs épouses et ils élèvent des enfants qui sont les leurs. Toutefois, un vrai père dans le judaïsme est avant tout celui qui transmet la Torah à son fils et celui qui transmet l’identité tribale. C’est exactement ce qu’à fait Joseph en transmettant la lignée davidique, l’appartenance à la tribu de Juda et les droits royaux qui y sont attachés. Son éducation a fait le reste.

Je suis heureuse de voir que vous avez eu la curiosité de fureter sur des sites juifs tels que Cheela ou Techouvot ou des intervenants juif, érudits et qualifiés, expliquent régulièrement les raisons pour lesquelles le judaïsme refuse au Christ, la qualité de Messie.

Toutefois, cette argumentation n’est pas recevable car elle est très postérieure à l’avènement du christianisme et agit en réaction au succès de la diffusion de l’Evangile. C’est une césure historiographique qui explique tout : entre le 6ème s. avant Jésus-Christ et l’an 70 de l’ère chrétienne, on parle de « judaïsme ancien ». A partir de 90 après Jésus-Christ, on parle de "judaïsme rabbinique". Le christianisme est le fils aîné du judaïsme ancien ; le judaïsme rabbinique en est le fils cadet.

Ce judaïsme ancien présente un certain nombre de caractéristiques : le rôle central de la liturgie du Temple et de la caste sacerdotale, la division en courants différents jusqu’à l’antagonisme (pharisiens, saduccéens, esséniens, zélotes, hérodiens et peut-être encore d’autres groupuscules très minoritaires). Cette sociologie du judaïsme ancien est décrite avec précision par l’historien juif Flavius Josèphe, qui était de lignée sacerdotale et pharisien.

Avec la guerre des juifs contre Rome (66-73) et la destruction du Temple en 70, tous les fondements de la pratique religieuse juive sont anéantis : les saduccéens ont perdu le Temple, les hérodiens sont discrédités, les esséniens ont un mode de vie si exclusif et ascétique qu’ils sont incapables de prendre la direction du peuple juif. Il ne reste que les pharisiens qui peuvent proposer un judaïsme dont la pratique soit viable sans le Temple et même en exil, parce qu’elle est fondée sur l’observance des commandements de la Torah et son interprétation par des sages qualifiés, légitimes et acceptés par le peuple. Pour reprendre l’expression consacrée, la Torah va devenir « la patrie du juif ».

En 90, en Galilée, l’assemblée de Jamnia, constituée de rabbins pharisiens va énoncer un certain nombre de règles nouvelles destinées à maintenir la permanence du peuple juif et donc à le protéger du danger de la disparition, de l’assimilation et d’un troisième « danger » : l’annonce de l’Evangile. On parle alors de « judaïsme rabbinique » puisque c’est la figure du rabbin qui va devenir centrale dans la pratique juive. C’est l’origine des affirmations que vous avez fort exactement énoncées.

->Les juifs qui étaient chrétiens ont été exclus des synagogues, comme le Christ l’avait annoncé (Jn 16, 1-2) par l’ajout de la birkhat-ha-minim à la grande prière de l’Amida.

->Les textes les plus récents de l’Ancien Testament et pourtant les plus clairs sur l’annonce de l’Evangile ont été rejetés du canon biblique utilisé en Judée mais pourtant parfaitement connus et commentés avant la destruction du Temple pour ne pas donner crédit à l’annonce de l’Evangile et la vocalisation définitive de la Bible hébraïque a été réalisée de telle sorte à neutraliser la référence qu’elle contenait au Christ (le « texte massorétique »). Enfin, la typologie du Messie attendu a été relue en totale contradiction avec les annonces prophétiques pour décrire un Messie triomphant et dominateur contre l’humble Christ de Dieu.

La réalité est pourtant différente et c’est toujours la tradition manuscrite qui en établit la preuve. Ces fameux textes qui ont été rédigés dans les 4 siècles qui ont précédé la naissance de Jésus étaient partagés par tous les juifs, y compris ceux de Judée : il y a bien des livres dits deutéro-canoniques dans les manuscrits de Qûmran, dont une version en hébreu du livre du Siracide, qui accrédite le prologue du petit-fils de l’auteur qui se présente comme le traducteur de l’œuvre de son aïeul, initialement rédigée en hébreu. Bien sûr, on y trouve aussi les livres des prophètes comme Isaïe, Jérémie et Ezéchiel et de nombreux rouleaux contenant les psaumes. Tous ces manuscrits sont antérieurs de 2 ou 3 siècles à la naissance du Christ, tous ces manuscrits sont conformes au texte reçu par l’Eglise et d’ailleurs, plus proches de la Septante que du texte massorétique.

Pour le dire tout net, les juifs ont perdu en 90, toute capacité à dire quel texte est divinement inspiré, quel texte ne l’est pas et à quoi doit ressembler le Messie.

Voici une explication trouvée dans «la Bible des peuples» qui me semblent remarquable :

«Lorsque les Juifs ont écarté les livres grecs propres à la version des Septante, ils appauvrissaient leur tradition, mais c’était pour défendre le patrimoine hébraïque et pour récuser certains arguments que les chrétiens tiraient de cette version. Lorsque plus tard, les chrétiens [protestants] renonçaient à ses livres, tout était perte. L’Eglise qui reçoit les deutérocanoniques dispose d’une histoire sans rupture. La révélation ne s’est pas arrêtée au temps d’Esdras et les trois derniers siècles de l’Ancien Testament comptent parmi les plus féconds»

Concernant les versets que vous citez de la Genèse, à propos de la bénédiction d’Ismaël, non je ne les écarte pas car ils sont clairs. Dieu a béni Ismaël en promettant d’en faire une grande nation et c’est le cas.

Toutefois et je vous en donné les raisons, Ismaël a été écarté des promesses spirituelles. Dieu a béni Ismaël par amour d’Abraham et non en raison des mérites ou des qualités spirituelles qu’Ismaël n’a tout simplement jamais eues. Quant à son supposé droit d’aîné, il n’a jamais réussi à s’en montrer digne, comment pourrait-il le revendiquer ? Il a par conséquent, été écarté de la fondation de la lignée messianique, comme Esaü, Ruben, Lévi et Siméon le seront également à leur tour.

Bien amicalement,

Catholique.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Wahrani a écrit :

  Je vous cite : Mais, Eh … Oh… Kader, c’est oublier que l’Algérie a été colonisée par les turcs bien plus longtemps que les français : 30...