3.06.2021

Catholique a ecrit :

 Bonjour Wahrani,

La question de la datation des textes qui composent le Nouveau Testament est étroitement liée à celle de leur canonicité et vous le soulignez très bien dans votre message.

Les historiens admettent pour la rédaction des  4 évangiles une période allant de 70 à 90. Mais il s’agit de dates consensuelles, elles ne sont pas démontrées. De même, l’existence d’un recueil de paroles de Jésus, qu’on appelle « source Q » est une hypothèse littéraire non démontrée.

Malheureusement, les spécialistes ont perdu de vue le caractère hypothétique des dates et de la source Q et ont élaboré des montagnes de conjectures qui ne reposent que sur ces suppositions.

Pourquoi les historiens affirment-ils que les évangiles ont été écrits après 70 ? Parce que, dans les 4 évangiles, Jésus annonce la destruction du Temple. Leur raisonnement est le suivant : les auteurs avaient connaissance de la destruction du Temple survenue en 70, ils ont mis dans la bouche de Jésus, une sorte de prophétie rétroactive. Donc, les évangiles ont été écrits après 70. CQFD.

Oui, mais voilà…

L’annonce de la destruction du Temple n’est pas l’exclusivité de Jésus, et d’ailleurs, le Temple de Jérusalem avait déjà été détruit en 587 avant notre ère. Ce n’était pas un fait inédit, inimaginable ou impossible.

Voici ce qu’écrit Flavius Josèphe, dans sa « Guerre des Juifs", livre VI, V, 3 :

« Mais voici de tous ces présages le plus terrible : un certain Jésus, fils d'Ananias, de condition humble et habitant la campagne, se rendit, quatre ans avant la guerre, quand la ville jouissait d'une paix et d'une prospérité très grandes, à la fête où il est d'usage que tous dressent des tentes en l'honneur de Dieu, et se mit soudain à crier dans le Temple : « Voix de l'Orient, voix de l'Occident, voix des quatre vents, voix contre Jérusalem et contre le Temple, voix contre les nouveaux époux et les nouvelles épouses, voix contre tout le peuple ! » Et il marchait, criant jour et nuit ces paroles, dans toutes les rues. Quelques citoyens notables, irrités de ces dires de mauvais augure, saisirent l'homme, le maltraitèrent et le rouèrent de coups. Mais lui, sans un mot de défense, sans une prière adressée à ceux qui le frappaient, continuait à jeter les mêmes cris qu'auparavant. Les magistrats, croyant avec raison, que l'agitation de cet homme avait quelque chose de surnaturel, le menèrent devant le gouverneur romain. Là, déchiré à coups de fouet jusqu'aux os, il ne supplia pas, il ne pleura pas mais il répondait à chaque coup, en donnant à sa voix l'inflexion la plus lamentable qu'il pouvait : « Malheur à Jérusalem ! » Le gouverneur Albinus lui demanda qui il était, d'où il venait, pourquoi il prononçait ces paroles ; l'homme ne fit absolument aucune réponse, mais il ne cessa pas de réitérer cette lamentation sur la ville, tant qu'enfin Albinus, le jugeant fou, le mit en liberté. Jusqu'au début de la guerre, il n'entretint de rapport avec aucun de ses concitoyens ; on ne le vit jamais parler à aucun d'eux, mais tous les jours, comme une prière apprise, il répétait sa plainte : « Malheur à Jérusalem ! » Il ne maudissait pas ceux qui le frappaient quotidiennement, il ne remerciait pas ceux qui lui donnaient quelque nourriture. Sa seule réponse à tous était ce présage funeste. C'était surtout lors des fêtes qu'il criait ainsi. Durant sept ans et cinq mois, il persévéra dans son dire, et sa voix n’éprouvait ni faiblesse ni fatigue ; enfin, pendant le siège, voyant se vérifier son présage, il se tut. Car tandis que, faisant le tour du rempart, il criait d'une voix aiguë : « Malheur encore à la ville, au peuple et au Temple », il ajouta à la fin : « Malheur à moi-même », et aussitôt une pierre lancée par un onagre le frappa à mort. Il rendit l'âme en répétant les mêmes mots. »

4 ans avant la guerre, nous sommes en 62 de l’ère chrétienne. Ce Jésus, fils d’Ananie est probablement le fils de celui qui accueilli Paul à Damas (Actes 9, 10). La persécution dont il fit l’objet et la mort dont il fut victime ressemble à celles d’Etienne et en fait, du Christ lui-même. Cet homme est un judéo-chrétien qui, en 62, annonce la destruction du Temple, 8 ans avant qu’elle ne se produise et il répète la parole de Son Maître et en imite la conduite en subissant le martyre sans broncher ni maudire.

Jésus a annoncé la destruction du Temple, avant qu’elle se produise et cette prophétie était connue des chrétiens d’origine juive de Jérusalem qui ont conservé cette parole. Utiliser cette prophétie pour dater les évangiles est une grave erreur d’interprétation.

En revanche, Matthieu, Marc et Luc ont tous 3 plusieurs caractéristiques communes :

Ils distinguent les opposants à Jésus selon les différents courants du judaïsme ancien, qui disparaîtront après 70 : ils parlent des hérodiens, des sadduccéens, des pharisiens et des zélotes. Ils ignorent tout de la guerre judéo-romaine qui débute en 66 et surtout, ils ignorent tout de la destruction du Temple. Au contraire, chez Luc, le Temple est un lieu vivant et joyeux où se manifestent la prophétie (1, 8-23 ; 2, 22-38) et la prière des premiers chrétiens (24, 53). L’évangile selon Saint Luc débute et s’achève au Temple ! Or, ce lieu ne devait pas représenter grand’chose pour les chrétiens issus du paganisme et encore moins s’il était réduit à l’état de ruines fumantes.

De même, chez Matthieu, les références à la liturgie et au culte du Temple sont nombreuses : il nous montre Jésus payer l’impôt au Temple (17, 24-27) et il rapporte en particulier, comme les autres évangiles, comment Jésus a chassé les marchands du Temple (21, 12) et comment il y enseignait (21, 23). Jésus fustige les raisonnements oiseux des pharisiens à propos de serments faits sur le saint des saints du Temple (23, 16-22).

Toutes ces paroles de Jésus, qu’on retrouve dans les 4 évangiles, plaident en faveur d’une antériorité des évangiles par rapport à la destruction du Temple. Les évangélistes évoquent une réalité qui n’avaient de sens que pour des familiers de ce lieu et des pratiques qui y étaient courantes. Ils parlent du Temple parce que le Temple est encore là.

De même, les évangiles présentent la persécution dont les chrétiens font l’objet comme émanant principalement des autorités juives à l’occasion de l’annonce de l’Evangile dans leurs communautés. Or, la 1ère persécution des chrétiens par le pouvoir romain est bien connue  et bien datée : sous le règne de Néron, suite à l’incendie de Rome en 64 où les autorités romaines sont suffisamment renseignées pour savoir que les chrétiens ne sont pas des juifs, mais une secte initialement issue du judaïsme et dont ils se sont détachés :

Tacite, Annales, XV, 44

"Mais aucun moyen humain, ni largesses impériales, ni cérémonies expiatoires ne faisaient taire le cri public qui accusait Néron d'avoir ordonné l'incendie. Pour apaiser ces rumeurs, il offrit d'autres coupables, et fit souffrir les tortures les plus raffinées à une classe d'hommes détestés pour leurs abominations et que le vulgaire appelait chrétiens. Ce nom leur vient de Christ, qui, sous Tibère, fut livré au supplice par le procurateur Pontius Pilatus. Réprimée un instant, cette exécrable superstition se débordait de nouveau, non-seulement dans la Judée, où elle avait sa source, mais dans Rome même, où tout ce que le monde enferme d'infamies et d'horreurs afflue et trouve des partisans. On saisit d'abord ceux qui avouaient leur secte ; et, sur leurs révélations, une infinité d'autres, qui furent bien moins convaincus d'incendie que de haine pour le genre humain. On fit de leurs supplices un divertissement : les uns, couverts de peaux de bêtes, périssaient dévorés par des chiens ; d'autres mouraient sur des croix, ou bien ils étaient enduits de matières inflammables, et, quand le jour cessait de luire, on les brûlait en place de flambeaux. Néron prêtait ses jardins pour ce spectacle, et donnait en même temps des jeux au Cirque, où tantôt il se mêlait au peuple en habit de cocher, et tantôt conduisait un char. Aussi, quoique ces hommes fussent coupables et eussent mérité les dernières rigueurs, les coeurs s'ouvraient à la compassion, en pensant que ce n'était pas au bien public, mais à la cruauté d'un seul, qu'ils étaient immolés. "

Là encore, les évangiles ignorent tout de cette persécution. C’est l’Apocalypse qui semble y faire référence, avec le fameux chiffre 666 qui désignerait Néron et la bête aux 10 cornes et 7 têtes (les 7 collines de Rome) en Ap 13, 1-2.

De la même manière, les Actes des Apôtres nous montrent des gouverneurs romains peu ou mal informés de ce qu’est le christianisme (Actes 18, 12-15 Gallion est le frère de Sénèque, le précepteur de Néron ; Actes 24 et 25 où Paul comparaît devant Félix puis devant Festus).

Les évangiles décrivent une situation limitée dans le temps : vis-à-vis du Temple, il est encore debout (70) ; les juifs ne se sont pas encore rebellés contre Rome (66), les Romains ne savent pas bien ce qu’est le christianisme et ne s’y intéressent guère (Actes 24 et 25), le rejet de l’Evangile et la violence contre les premiers chrétiens est le fait des autorités juives et uniquement d’eux.

Je pourrais également évoquer la question du fameux Seder de Pessah, ce grand repas familial des juifs qui est mis en place justement à partir de 90, dans la grande refondation du judaïsme, le judaïsme rabbinique cette fois, sous la conduite des chefs pharisiens. Ce grand repas pascal est parfaitement inconnu des apôtres et des évangélistes. Toutes les pratiques typiques du judaïsme rabbinique sont inexistantes dans les évangiles.

Enfin et c’est un sujet sur lequel je reviendrais, avec l’aide de Dieu, mais il faut que je poursuive les recherches : les lettres des apôtres, pour lesquelles les datations sont plus assurées, citent des paroles de Jésus que l’on peut aisément corréler aux évangiles. Cela nous fait placer les 3 évangiles synoptiques au plus tard, juste avant la première persécution des chrétiens par le pouvoir romain en 64.

Jean en revanche, parle des « Juifs » comme de l’archétype de celui qui rejette l’Evangile et il témoigne de la rupture déjà définitive entre les juif et les chrétiens : le rejet des chrétiens par les juifs est sa réalité et cela nous transporte dans cette période charnière 70 /90, avec la fin définitive de la mission chrétienne à l’intérieur du peuple juif. Au demeurant, Jean présente l’annonce de la destruction du Temple d’une manière différente : en Jn 2, 19-21, Jean met en scène un malentendu entre Jésus et les Juifs qui lui donne l’occasion d’un glissement entre le sanctuaire du Temple et le sanctuaire véritable qui est le corps de Jésus. Il transforme la prophétie de l’annonce de la destruction du Temple, en annonce de la résurrection du Christ : en quelque sorte, le Temple étant désormais détruit, il n’est plus la peine d’en faire état, il actualise la parole de Jésus en la rapportant à une réalité éternelle et définitive: la résurrection du Christ.

Je vais continuer en évoquant Paul.

Catholique


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Wahrani a écrit :

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