8.08.2020

Catholique a ecrit :

 

Bonjour Wahrani,

Je vais répondre à votre message à rebours, si vous m’y autorisez. Je crois que dans le fil de la conversation, j’ai perdu de vue les fondements de l’approche du texte qui nous occupe, la Genèse, comme on perd la clé de la porte d’entrée

De prime abord, la Genèse est un fatras d’anecdoctes plus ou moins immorales : une femme enceinte chassée au désert par une vieille épouse stérile, jalouse et acariâtre (Gn 16) ; un inceste (Gn 19), les fourberies d’un fils un peu trop gâté par sa mère pour s’approprier un droit d’aînesse et une bénédiction qui reviendraient de droit à son aîné (Jacob) ; un viol suivi de cruelles représailles (Gn 34) et l’attitude peu glorieuse d’un client d’une pseudo-prostituée qui se défausse devant ses responsabilités (Gn 38). Il n’y a vraiment pas de quoi pavoiser et si ce sont là les ancêtres du peuple juif, ils devraient plutôt raser les murs 

Quel est le fil conducteur de cet ensemble hétéroclite ? Qu’est-ce que la Genèse ?

La Genèse est le récit de la fondation de la lignée messianique et chacun des récits évoqués ci-dessus est comme une flèche pointée en direction du Christ et une étape dans la sélection qui s’achève dans la bénédiction prophétique de Juda par Jacob en Gn 49 10 

«Le sceptre ne s’éloignera point de Juda, ni le bâton souverain d’entre ses jambes, jusqu’à ce que viennent son possesseur (Shilo) à qui les peuples obéiront »

Cette sélection va s’opérer dans le lignage d’Abraham par éviction des aînés au profit des cadets, par la mise à l’épreuve de la valeur spirituelle de chacun. Vous vous attachez à Ismaël qui a été le premier évincé, mais Esaü l’a été pour les mêmes raisons. L’attitude de Ruben, Siméon et Lévi face aux Sichémites a été également sanctionnée (Gn 49, 1-7)   ils sont trop violents pour hériter les bénédictions et la promesse divine.

Finalement, c’est à Juda que va échoir la légitimité à  transmettre cette promesse de la venue d’un Messie parce qu’il a démontré les qualités spirituelles requises, en reconnaissant le droit de Tamar et la justesse de son action (Gn 38, 26).

La généalogie de Jésus qui nous occupe, spécialement celle de Matthieu, en rappelle le souvenir en mentionnant Tamar aux côtés de son époux Juda. Cette généalogie est entre autres choses, la récapitulation de tout le contenu de la Genèse.

Concernant l’historicité des évangiles, il y a plusieurs erreurs factuelles dans votre message. Je me contenterai de rappeler des faits vérifiables.

Le manuscrit du Nouveau Testament connu le plus ancien est le papyrus Ryland 52. Il est daté des années 100-120 et contient une partie du chapitre 18 de l’évangile selon Saint Jean.

Les Pères apostoliques qui couvrent la période 90-130 font d’abondantes citations des évangiles dans leurs œuvres. C'est cohérent avec le témoignage manuscrit.

On ne peut repousser au-delà du début du 2ème siècle la rédaction des 4 évangiles ni soutenir une transmission orale exclusive sans contredire l’existence de sources directes et indirectes qui remontent au tout début du 2ème siècle.

Les 4 évangiles ont été écrits dans l’ordre reçu canoniquement : Matthieu, Marc, Luc et Jean. Pourquoi peut-on être aussi affirmatif ?

* Parce que l’évangile de Matthieu est un véritable dossier constitué pour démontrer la messianité de Jésus. Oui mais quelle messianité ? Celle qui prévalait avant le grand nettoyage opéré par les « Sages de Jamnia » en 90 pour rhabiller le Messie en guerrier. Matthieu s’adresse à un public qui est celui du judaïsme ancien et il porte les caractéristiques de la sociologie de ce judaïsme qui vit jusqu’à la 1ère guerre juive en 66 (en particulier la distinction entre pharisiens, sadducéens, zélotes etc…). Cet évangile a été écrit bien avant et à une époque où la prédication de l’Evangile est encore très active en milieu juif. Le Talmud lui-même en porte la trace (1) ! Autant dire que l’on remonte dans les années 40-50.

* Marc écrit de Rome à partir de souvenirs de Pierre. Son évangile ne s’attarde pas sur les enjeux qui ne concernaient que les juifs de Judée, ce n’est pas son public : point de citations des prophètes mais des explications sur certaines coutumes juives inconnues de son public. Pierre ayant été supplicié en 62, après avoir passé une vingtaine d’années à Rome, son évangile doit également être daté entre 43 (quand il quitte Jérusalem) et avant 62.

* Luc, compagnon de Paul a pu recueillir des traditions écrites et orales au cours de ses pérégrinations qui lui ont permis de rencontrer des témoins oculaires. Il séjourne à Ephèse où résident Saint Jean et la Vierge Marie dont il tient les récits de l’enfance(2). Toutefois, ce récit, par discrétion et respect envers la Mère du Sauveur n’aura été publié qu’après le décès de celle-ci. Enfin, Luc propose dans son évangile une description vivante et joyeuse de l’activité du Temple de Jérusalem : on y prie, on y reçoit des prophéties et des visions, on y loue le Seigneur ! Est-ce compatible avec une ville assiégée, détruite et un Temple réduit à un tas de cendres fumantes ? Je ne le pense pas ce qui fait basculer cet évangile avant 70.

En tout état des causes, les 3 évangiles canoniques ont été écrits avant le déclenchement de la guerre de 66 dont ils semblent tout ignorer...

* C’est Jean qui écrit son évangile en dernier : la tradition manuscrite nous offre un terminus ad quem, vers 100-120 et son évangile qui ne répète pas ce qui est déjà écrit et tellement bien écrit qu’il ne prend même pas la peine de corriger quoi que ce soit et témoigne d’un judaïsme devenu différent : il est le premier et le seul à parler des «Juifs» comme ceux qui ont définitivement rejetés le Christ. Nous sommes dans ce judaïsme

«d’après Jamnia» en 90.

(1) Dan Jaffé, « Les Sages du Talmud et l’Evangile selon Matthieu. Dans quelle mesure l’Evangile selon Matthieu était-il connu des Tannaïm ? », 2009

(2) Benoit XVI, « L’enfance de Jésus »,  p. 32 & 80

Bien amicalement,

Catholique.

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Wahrani a écrit :

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